Paris
le 13 fevrier 1839
Monsieur
Personne, ici, n’a songé, un moment, à mettre en doute l’indépendance de vos recherches sur la fixation des images de la chambre obscure. personne n’a vu, dans votre publication, autre chose qu’une rencontre, sur un sujet de travail que tout physicien etait parfaitement le maitre de choisir. car, bien que feu mr Niepce, <1> eut déja obtenu, depuis longtems des effets de ce genre, et quil eut même envoyé des échantillons de ses résultats à diverses personnes, entre autres, à Charles Chevalier, <2> l’opticien, chez lequel j’ai vu, moi-même, il y a longtems, la copie d’une gravure ainsi faite; quoique l’on connut ici, et qu’on eut annoncé dans des journaux, que mr Daguerre <3> avait poursuivi avec succès cette invention, cependant, mr Niepce n’ayant pas publié son procédé, et mr Daguerre, qui l’a connu et perfectionné, ayant gardé jusqu’ici son secret, il était evidemment libre à tout le monde, de chercher à parvenir au même but. car ce serait un grand malheur pour les sciences, si une simple annonce de résultats réels, mais obtenus par des procédés que l’on n’indique point, entravait toute recherche analogue. Mais, réciproquement, informé, comme vous l’êtes aujourd’hui, des preuves qui attestent que mr Daguerre s’occupait, depuis longtems, d’un travail semblable au votre, vous admettez aussi qu’il a eu la liberté de s’y livrer. Nous sommes donc, dès lors, complettement d’accord avec vous. Et, loin de regretter que l’exhibition de mr Daguerre, vous ait décidé à publier dès à présent, vos résultats, que vous auriez, peut être, encore préféré conserver en votre possession, pour leur donner des perfectionnemens ultérieurs, nous qui n’avons d’attachement qu’aux sciences, nous devons nous en féliciter; puisque nous aurons ainsi ce sujet traité, tres vraisemblablement avec des vues différentes, et par des voies différentes d’exécution. Même, Monsieur, il est encore en votre pouvoir de faire, le premier, participer tous les savants à votre invention, indépendamment de toute rivalité, tandis que les circonstances où se trouve mr Daguerre, et les engagemens légaux, par lesquels il est lié avec la famille de mr niepce, lui prescrivent de garder encore la sienne secrette. pour mon compte, je ne puis trop vous presser de cette publication. et je prends la liberté de vous exprimer, très franchement, le regret que, j’ai eu de ne pas trouver votre méthode explicitement énoncée dans la copie de votre mémoire que nous a transmis l’atheneum. Car, ne connaissant pas le mode d’opérer de mr Daguerre, et n’ayant même aucune envie d’en être instruit, dans les conditions de secret où il est obligé de se tenir, j’aurais, comme tout le monde, mis un très grand empressement à [illegible deletion] me servir de votre procédé, pour des recherches scientifiques que je n’ai pu réaliser jusqu’ici que par interprète; tandis qu’il faudra, peut être, attendre plusieurs mois encor, avant de pouvoir y employer par moi même la méthode de mr Daguerre, à cause des circonstances qui en retardent la publication. Et, quand il serait vrai, que la sienne eut, sur le vôtre, des avantages d’art, qu’un peintre aussi habile que lui, a du spécialement rechercher, ce que je ne me hazarde pas toutefois à decider d’avance, vous n’en auriez pas moins rendu un grand et libéral service, à vos confreres les Savants, en la faisant connaitre, dès aujourd’hui, comme procédé expérimental. Et je serais tout le premier, mais non pas le dernier sans doute, à vous témoigner Publiquement la reconnaissance que l’on vous devrait. Car il y a déja dans vos resultats, surtout dans votre sensitive paper, de quoi nous occuper fructueusement pour la physique de la lumière. ainsi vous ne trouverez pas déplacé, sans doute, si je vous exprime vivement ce vœu.
Vous me demandez si mr Daguerre copie des gravures. il nous en a montré plusieurs, reproduites ainsi très fidèlement. Est-ce avec la chambre obscure, ou autrement, je l’ignore; et j’aurais autant évité de le lui demander, d’après les engagemens qui le lient, que je mets d’empressement à vous prier de mettre publiquement vos procédés dans les mains de tous les physiciens.
Quant au peu de tems qu’il lui faut, pour exécuter ses dessins de paysages, ou d’edifices, avec une perfection surprenante de détails, et de distribution de lumiere, d’apres ce qu’il affirme, et d’apres ce que mr Arago <4> atteste, quelques minutes suffisent, même dans cette saison. j’ai entendu dire, chez lui, à nos plus grands peintres, comme Paul Delaroche, et Horace Vernet, <5> en présence de ses tableaux photogéniques, qu’il y a, pour les artistes, une instruction infinie à recevoir de leur inspection, pour apprécier l’extrême ménagement que l’on peut employer dans la distribution de l’ombre et de la lumiere, pour la fidele representation des objets. L’un des plus distingués de ces Artistes, Hersent, <6> m’a dit, sans hésiter, qu’il avait plus appris, sur son art, en deux heures, devant les tableaux de Daguerre, qu’il n’avait fait, pendant toute sa vie, dans son attelier. mais, en attendant ce secret d’exécution nous est inconnu, et vous pouvez nous faire jouir du Vôtre.
Cette lettre, quoique bien longue, serait loin de remplir mes intentions, si je ne vous exprimais pas combien j’ai été sensible à celle que vous venez de m’écrire. vous nous rendez justice, en restant persuadé que nous avons eu seulement en vue, de conserver la mutuelle indépendance des travaux entrepris Sur ce Sujet, par mr Daguerre, comme par vous. Soyez certain que toute lettre ecrite par vous, avec la libéralité de sentimens qui caractérise un savant tel que vous l’êtes, sera accueillie par l’académie avec le plus grand empressement; et que son insertion dans nos Comptes rendus <7> ne fera pas le plus léger doute, si vous en exprimez le désir. car je vous assure que nous sommes bien sincerement, et uniquement, dévoués à l’avancement des sciences, ainsi qu’à la propagation des découvertes qui peuvent hâter leurs progrès.
J’ai l’honneur d’être avec la plus haute Considération Monsieur Votre très humble et obéissant Serviteur
J. B. Biot
A Monsieur
Monsieur H. Fox Talbot, membre de la
Société Royale de Londres &c &c
no 44 Queen Ann Street
London
Angleterre
Translation:
Paris
13. February 1839
Sir,
Nobody here thought for a moment to cast doubt on the independence of your research into fixing the images from the camera obscura. Nobody saw anything in your publication other than a coincidence on a subject which every physicist was perfectly capable of choosing. For although the late mr Niepce had already obtainined this type of effect a long time ago, and had even sent samples of his results to various people, including the optician Charles Chevalier, at whose shop I myself saw a long time ago the copy of an engraving done in this way; although it was known here and had been announced in the newspapers that mr Daguerre had successfully developed this invention, nevertheless, since mr Niepce had not published his process and since mr Daguerre, who knew about it and perfected it, had kept it secret until now, it was clearly open to everyone to try to achieve the same objective. For it would be a great misfortune for Science if all similar research were to be hindered by the mere fact of announcing results which were genuine but had been obtained by undisclosed processes. But, for your part, too, armed as you are today with proof that mr Daguerre was engaged in work similar to yours for a long time, you must also admit that he was free to devote himself to it. Consequently, we are in complete agreement with you. And, far from regretting that mr Daguerre’s exhibition should have decided you to publish your results straight away, when you would perhaps have preferred to keep them in your possession in order to improve them further, we who are committed only to science should be very pleased; since this subject will be dealt with, probably from different perspectives and using different methods. Even so, Sir, it is still in your power to be the first to involve all scientists in your invention, without there being any rivalry, whereas the situation in which mr Daguerre finds himself, and the legal agreements which tie him to mr Niepce’s family, compel him to keep his invention secret. Personally, I cannot urge you enough to go ahead with this publication, and I take the liberty of expressing my regret quite candidly that I did not find your method set out explicitly in your paper which the atheneum sent us. For, since I do not know mr Daguerre’s method of working, and do not even wish to be informed of it, as he is forced to keep everything secret, I would have been very eager, like everybody else, to use your process for scientific research. I have only been able to do so until now without the help of an interpreter, whereas it may be necessary to wait for several months more before I can use mr Daguerre’s method myself because of the circumstances which are delaying its publication. And even if it were true that his method had artistic advantages over yours, which such a skilled painter as he must have striven for especially, something which I do not, however, venture to decide in advance, you would nevertheless have rendered a great and generous service in making it known immediately as an experimental process. And I would be the very first, but doubtless not the last, to give you the Public recognition which you deserve. For your results, particularly your sensitive paper, already contain things on which we can work profitably for the physics of light. Therefore, you will most likely not find it out of place if I express this wish most keenly.
You have asked me whether mr Daguerre makes copies of engravings. He has shown us several, and they were reproduced most faithfully. I do not know whether he used the camera obscura or another method, and I would have been just as anxious to avoid asking him about it due to his commitments, as I am to ask you to make your procedures available publicly to all physicists.
As for the short amount of time which he needs to produce his drawings of landscapes or buildings with a surprising degree of perfection in the details and distribution of light, Daguerre asserts and mr Arago confirms that a few minutes are sufficient, even at this time of year. At his home, as they stood in front of his photogenic pictures, I have heard it said by our greatest painters, such as Paul Delaroche and Horace Vernet, that for artists, there is an infinite amount to be learnt from inspecting them, for the appreciation of the great attention which can be paid to the distribution of light and shade in order to represent objects faithfully. One of the most distinguished of these artists, Hersent, did not hesitate to tell me that he had learnt more about his art in two hours looking at Daguerre’s pictures than he had done throughout his entire life in his studio. But, in the meantime, we do not know the secret of how he produces them, and we could have the benefit of your own.
Although this letter is very long, it would by no means satisfy my intentions unless I expressed the extent to which I was touched by what you have just written to me. You do us justice by continuing to believe that we simply wanted to preserve the mutual independence of the work undertaken on this Subject by both you and mr Daguerre. Please rest assured that any letter which you write with the generosity of spirit which characterises a Scientist such as yourself, will be welcomed most warmly by the academy; and if you so wish it, there is not the slightest doubt that it would be inserted into our Comptes rendus. For I assure you that we are sincerely and exclusively devoted to the promotion of science as well as to the dissemination of discoveries which might hasten scientific progress.
I have the honour to be, Sir, with the highest regards, Your very humble and obedient Servant
J B. Biot
Mr H. Fox Talbot,
Member of the Royal Society of London &c &c
no 44 Queen Ann Street
London
England
Notes:
1. Joseph Nicéphore Niépce (1765–1833), photographic inventor.
2. Charles Chevalier (1804–1859), optician, Paris.
3. Louis Jacques Mandé Daguerre (1787–1851), French artist, showman & inventor.
4. Dominique François Jean Arago (1786–1853), French physicist, astronomer & man of science.
5. Paul Delaroche (1797–1856), and Horace Vernet (1789–1863), both painters and lithographers.
6. Louis Hersent (1777–1860), painter and lithographer.
7. Comptes Rendus hebdomadaires des séances de l’ de l’Académie des Sciences.